Mouhabbat qui était la standardiste (puis secrétaire comptable) de l’institut de recherche implanté à Tachkent et dont j’étais le comptable nous avait invités, moi et A., à son mariage. Originaire de la région de Andijan, cet événement promettait d’être intéressant. En effet, cette région qui a connu des troubles importants il y a de cela quelques années est très conservatrice et il n’est pas particulièrement recommandé d’y aller. L’éloignement de la localité donnait à cette opportunité une valeur supplémentaire. Nous n’avions pas été long à nous décider moi comme A. J’avais d’ailleurs été étonné qu’elle soit partante. Je pensais qu’il faudrait la convaincre mais spontanément elle a été d’accord.
Nous avons donc réservé nos billets d’avion, confirmé notre heure d’arrivée à Mouhabbat donc un oncle allait venir nous récupérer en début d’après midi en ville après que nous nous y soyons promenés un peu. Le vol est rapide.
Le débarquement se fait à même le sol sur le tarmac comme souvent dans les petits aéroports et suit une petite marche de cent mètres au soleil jusqu’à la sortie de l’aéroport. Le bâtiment neuf semblait à peine fini et vide. Nous l’avons contourné pour nous rendre aux toilettes accompagnés d’une femme et aidés par deux policiers qui ne purent s’empêcher plus par curiosité personnelle que professionnelle de questionner A. sur nos relations une fois que j’étais enfermé dans les cabinets bien sales. La femme avait sorti quelques blagues aux policiers avant de passer la première et l’ambiance était donc détendue. A. leur a répondu que j’étais son oncle. Crédules ou non, les policiers ont laissé tomber, d’autant plus vite quand ils ont appris qu’on venait pour un mariage.
Le débarquement se fait à même le sol sur le tarmac comme souvent dans les petits aéroports et suit une petite marche de cent mètres au soleil jusqu’à la sortie de l’aéroport. Le bâtiment neuf semblait à peine fini et vide. Nous l’avons contourné pour nous rendre aux toilettes accompagnés d’une femme et aidés par deux policiers qui ne purent s’empêcher plus par curiosité personnelle que professionnelle de questionner A. sur nos relations une fois que j’étais enfermé dans les cabinets bien sales. La femme avait sorti quelques blagues aux policiers avant de passer la première et l’ambiance était donc détendue. A. leur a répondu que j’étais son oncle. Crédules ou non, les policiers ont laissé tomber, d’autant plus vite quand ils ont appris qu’on venait pour un mariage.
L'aéroport d'Andijan |
Nous avons pris un taxi pour nous rendre dans le centre ville et nous promener en attendant l’oncle de Mouhabbat. Je voulais trouver des vieux Krokodil et A. a du subir mon insistance à visiter un marché, sans succès puis à rechercher un libraire sans succès également. Elle s’amusait en fait de cette promenade car ouverte d’esprit et avide de voir, elle avait là l’occasion de découvrir son pays, qui plus est des villes « difficiles », sans risque puisque accompagnée. Elle n’aura en fait jamais manifestée la moindre reluctance à aller en voyage que ce soit à Andijan, Ferghana ou Nukus. Elle est toujours partante, contente, enjouée de découvrir quelque chose de nouveau.
A Andijan, il y a beaucoup de femmes en costumes traditionnels chatoyants mais je ne me rappelle pas de femmes voilées. Le gens nous regardent car il y a peu d’étrangers dans le coin mais le contact est toujours bon comme lorsque nous voulons acheter des glaces : l’endroit est bondé, les femmes, filles et enfants se pressent autour du vendeur. Nous sommes poussés, on ne nous laisse pas la place mais tout cela me plait : on nous considère comme tout autre personne et c’est tout. Pas de traitement de faveur ou de défaveur.
Les heures des prières à la mosquée |
La belle toiture métallique de la mosquée |
Nous marchons beaucoup sous le soleil et nous sommes fatigués. Nous arrivons dans un parc. C’est là que nous avons rendez vous avec l’oncle qui arrive une demie heure plus tard.
Quels cheuveux ! |
L’oncle dans sa Nexia nous emmène au village de Mouhabbat pas très loin de la frontière kirghize. Sur la route, nous croisons des femmes qui cueillent des coquelicots pour les vendre par bouquets aux automobilistes.
Une grotte sacrée |
où les gens viennent accrocher des bouts de tissus en formulant des voeux |
Le village est plutôt grand. Nous sommes logés chez l’oncle qui habite ce qui devait être auparavant une ferme accolée à d’autres maisons dans la même rue que Mouhabbat. Sa femme et ses enfants ainsi qu’une tripotée de gens nous accueillent. La tante nous installe dans une pièce. Au centre, une table basse avec dessus un tas de choses à manger : des fruits et surtout des friandises. Au sol, des sortes de couvertures hybrides entre le tapis et le matelas : des kurpatchas. Ceux-ci font généralement quelques centimètres d’épaisseurs bien moelleux et environ deux mètres de long. Ils sont recouverts d’un tissu épais à motifs et colorés. Ils ne servent pas de couverture mais bien de matelas pour dormir ou s’asseoir. La tante nous explique que c’est là que nous allons dormir. Pas de problème pour moi et A.
Nous allons saluer Mouhabbat qui nous présente sa famille.
Mouhabbat va et vient occupée qu’elle est à tout préparer. Plusieurs personnes nous rendent visite en partie pour ne pas nous laisser seuls en partie parce que nous sommes une curiosité je suppose. En particulier, le vieil instituteur du village est ravi de notre présence. Il est très noble et discret, cultivé et ouvert.
Le soir, la tante vient préparer les kurpatchas. Nous l’aidons, allons nous laver dans la cour avec l’eau qui a chauffé et nous nous couchons tôt car il me faudra me lever tôt le lendemain : le plov est à 7h00. A. bénéficiera d’un répit d’une heure, le plov pour les femmes étant fixé à 8h00. Elle est ravie !
Nous dormons très bien et je me lève avec plaisir et curiosité. Cela va être une journée très particulière et intéressante pour moi qui ne connaît pas les coutumes locales.
Les hommes vont jusqu’à la maison des parents un peu plus loin dans la rue. Les gens s’installent autour de tables dans la cour ou à même le sol sur des kurpatchas sous les vérandas en bois.
Je suis à la même table que l’instituteur. Le plov va s’en dire est excellent. Des « troubadours » entrent dans la cours : deux enfants tziganes marchant sur des échasses commencent à jouer d’une sorte de flûte (surnay) et d’un tambourin (doira). Ils passent entre les tables puis s’éclipsent.
Je rejoins Alexandra puis l’instituteur m’invite à aller visiter son école pendant qu’Alexandra déjeune.
Je l’accompagne avec plaisir. Il me montre la mosquée du village. Ce n’est pas du tout la mosquée classique telle qu’on l’imagine nous européens. J’en ai vu plusieurs comme cela à Samarkand par exemple. Il y a des salles avec des tapis, plusieurs cadrans d’horloge qui marquent les moments de la prière et l’ensemble se tient dans un classique bâtiment en bois pourvu d’une grand cour intérieure où prient les fidèles s’il y a foule.
Puis après avoir traversé la grande route, nous arrivons à l’école. Une vieille école qui me rappelle celle de mon enfance. Tout est un peu vieux. Le matériel, les chaises, les tableaux, les manuels, le matériel de sport. Mais on y sent la vie, l’activité. Il y a comme dans toutes les écoles du monde des dessins d’enfants aux murs, des poèmes, des textes parlant des activités des classes, des schémas résumant le corps… Je suis impressionné de tant de courage, de tant d’abnégation de la part de ces enseignants qui font tout ce qu’ils peuvent avec si peu…
Nous restons une vingtaine de minutes sur les lieux, autant de temps qu’il nous en a fallu pour y arriver et qu’il nous en faudra au retour.
Nous nous arrêtons dans la boulangerie de son ami, un de ses anciens élèves. Nous discutons cinq minutes. L’homme d’une cinquantaine d’année me dit quelques mots en français ravi. Il nous fait goûter du pain. Puis nous repartons.
Je suis content de retrouver A. qui est enjouée et heureuse de tout ce qu’il se passe.
Nous nous isolons un peu histoire de pouvoir parler et échanger nos impressions et puis surtout pour nous retrouver un peu : on ne s’est pas vu depuis plus d’une heure et puis l’ambiance porte à la romance ! Nous allons donc dans notre chambre et grignotons quelques friandises.
La tante arrive et nous explique quelque chose. Je ne comprends pas vraiment mais nous rangeons nos affaires. Des hommes importants du village – ou de simples amis – viennent rendre visite et il faut les accueillir.
Nous allons donc faire un tour et à notre retour les amis en question nous invite à boire et manger avec eux dans notre « chambre ». A. est invitée aussi car elle russe. Mais nous refusons de boire.
Les discussions vont bon train et le temps passe en essayant d’échapper à la vodka.
Le mari arrive avec les hommes de sa famille. Ils s’installent dans une pièce chez les parents de Mouhabbat. L’un après l’autre, les membres de la famille de Mouhabbat et des proches viennent le féliciter et lui offrir des cadeaux. Il m’invite à les rejoindre, je ne sais pas trop pourquoi. Sans doute me considère-t-il comme un personnage important. Je m’assoie au fond de la pièce et mange avec eux.
Après peut être une heure, il repart. Il ne reviendra que pour chercher la mariée.
Vers 13h00, tout le monde est fébrile. Le mari va arriver. Soudain, les instruments de musique retentissent : les joueurs de karnay (longues trompettes) et de surnay annoncent sa venue.
Nous ne le voyons bizarrement pas. Nous attendons à l’intérieur, dans la cour. Là il y a toute la famille de Mouhabbat, les amis et les proches. Les femmes vont chercher la mariée. Elle est couverte, légèrement courbée, en pleurs. Sa mère, sa tante, la rassurent et pleurent avec elle, faisant parfois mine de la retenir. La scène est forte, intense. La même mélodie est jouée en boucle. Cela donne un caractère hypnotique, de transe à la scène. C’est impressionnant. Mouhabbat est conduite à une voiture, une simple Nexia, qui démarre et l’emmène dans la famille de son mari. Dorénavant elle ne reviendra plus vivre chez ses parents.
Il faut maintenant à tous tuer le temps jusqu’au soir et au repas de mariage. La plupart des gens retourne vaquer à ses occupations routinières, d’autres aident la famille de Mouhabbat à tout préparer pour le soir. Moi et A. nous regardons tout cela, ne sachant trop quoi faire. Mais l’oncle arrive et avec deux de ses amis, nous propose de nous emmener visiter les environs. Nous sommes d’accord et partons en voiture.
A ma demande, on nous conduits d’abord sur un ancien site archéologique. Peut être fouillé par des japonais, je ne sais plus trop… Il n’y a pas grande chose à voir : des champs vallonnés, quelques animaux, de belles petites fleurs… On tombe sur les restes d’un animal, un mouton, dépecé… Puis effectivement, devant nous, quelques fouilles, délimitants ce qui devait être des habitations (on reconnaît l’habituel contour rectangulaire des murs), maintenant recouvertes d’herbes.
On retourne à la voiture. Si on n’a pas vu grand-chose, c’était quand même une chouette balade dans la nature, agréable, reposante et qui a eu le mérite de nous faire sortir un peu du village et de la foule du mariage.
On repart pour aller près d’une rivière, chez un restaurateur, en contre bas du cours d’eau. On mange du poisson. Les hommes (il n’y a pas de femmes à part A. et les serveuses qui travaillent dans le café) souhaitent me voir boire mais je persiste dans mon abstinence. Le repas est bon et je dois reconnaître que mes réticences à manger du poisson alors que la mer est à des milliers de kilomètres sont balayées. De toute façon, me dit-on, c’est du poisson de rivière… Cela ne me rassure pas outre mesure quand je pense à tout ce qui peut être rejeté dedans.
Un des types est bien bourré. Un autre chambre le flic du coin qui est venu se joindre à nous.
On prend une photo souvenir de groupe. Puis retour au village.
Les collègues, français et recrutés locaux, sont arrivés en voiture. Ils sont en train de manger dans notre chambre – salle commune. On s’installe avec eux, on discute. Je les connais pour la plupart mais quelques têtes me sont nouvelles : celle de la femme de ménage, d’un des gardien, d’une chercheuse… Le directeur scientifique comme à son habitude fait le paon.
Puis c’est l’heure de partir. Rendez-vous : le restaurant. On se glisse dans les voitures et on file sur Andijan.
C’est un grand restaurant classique pour les mariages, très grand, avec une piste de danse centrale, des tables autour, une estrade dans le fond sur laquelle mangeront les mariés visibles de tous. Nous, notre table, est la seule mixte puisque nous sommes les seuls occidentaux. Aux autres, des groupes de femmes ou d’hommes.
Sur les tables, un tas de friandises, de bouteilles d’eau, de jus, de l’alcool aussi. On papote, grignote, on attend les mariés.
Que des hommes à cette table |
Voilà Mouhabbat qui arrive accompagnée de femmes, toute en blanc. Je la vois mal, elle est loin. Elle a la tête baissée. Une femme parle dans le micro puis le tend à Mouhabbat. Alexandra m’explique qu’il s’agit du Kiril Salam : Mouhabbat remercie et dit au revoir à tous ses proches. Elle les nomme, les remercie, leur dit adieu. On retrouve, malgré le cadre qui s’y prête peu, une intensité proche de celle de la scène de départ du midi.
Puis elle rejoint son mari sur l’estrade et la fête commence. Nourriture, vin, danses pendant trois quatre heures. Nous ne dansons pas et comme dans tous les mariages, au bout d’un moment c’est barbant. Nous sortons prendre l’air. Il fait nuit. Beaucoup de personnes sont dehors comme nous. La fête se termine tôt. Les gens et les mariés partent. La soirée continue encore un peu puis c’est la fin. On nous ramène.
Je garde un excellent souvenir de ce mariage, d’une part du fait de l’invitation de Mouhabbat, d’autre part du fait du caractère très particulier, local de ce mariage. La scène de départ du midi est sans doute un des souvenirs les plus fort et les plus intéressants de mon séjour en Ouzbékistan au même titre que la visite des khalas.